Aurais-je pu penser, quand j’ai choisi Walheim pour but de mes promenades, qu’il était si près du ciel ! Ce pavillon de chasse, qui à présent enclôt tous mes désirs, que de fois, dans mes longues courses, ne l’ai-je pas vu, tantôt de la montagne tantôt de la plaine, par-dessus le fleuve !
Chose étrange : lorsque j’arrivai ici et que du haut de la colline je plongeai mes regards dans cette belle vallée, tout ce qui m’environnait m’attirait. – Là-bas, ce petit bois ! – Ah ! que ne peux-tu mêler ton ombre aux siennes ! – Là-bas, la cime de cette montagne ! – Ah ! Que ne peux-tu, de là, embrasser cette vaste contrée ! – Et ces collines enchaînées l’une à l’autre, et ces vallons intimes ! – Oh ! que ne puis-je me perdre en eux ! – J’y courais et je m’en revenais sans avoir trouvé ce que j’espérais. Il en est, hélas ! des lointains comme de l’avenir ! Un monde immense et nébuleux s’étend devant notre âme, notre sensibilité s’y plonge et s’y perd comme notre regard et nous aspirons à donner tout notre être pour que la volupté d’un unique, d’un grand, d’un magnifique sentiment nous emplisse entièrement. Et, hélas ! lorsque nous y courons, lorsque là-bas est devenu ici, tout est après comme avant, nous restons là dans notre pauvreté, dans nos étroites limites et notre âme assoiffée se tend vers le breuvage rafraîchissant qui lui a échappé.
C’est ainsi que le plus inquiet des vagabonds finalement aspire à revoir son pays, où il trouve dans sa chaumière, sur le sein d’une épouse, dans le cercle de ses enfants, dans les tâches imposées pour leur subsistance, la félicité qu’il avait en vain cherchée dans le vaste monde.
Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, 1774.
Chose étrange : lorsque j’arrivai ici et que du haut de la colline je plongeai mes regards dans cette belle vallée, tout ce qui m’environnait m’attirait. – Là-bas, ce petit bois ! – Ah ! que ne peux-tu mêler ton ombre aux siennes ! – Là-bas, la cime de cette montagne ! – Ah ! Que ne peux-tu, de là, embrasser cette vaste contrée ! – Et ces collines enchaînées l’une à l’autre, et ces vallons intimes ! – Oh ! que ne puis-je me perdre en eux ! – J’y courais et je m’en revenais sans avoir trouvé ce que j’espérais. Il en est, hélas ! des lointains comme de l’avenir ! Un monde immense et nébuleux s’étend devant notre âme, notre sensibilité s’y plonge et s’y perd comme notre regard et nous aspirons à donner tout notre être pour que la volupté d’un unique, d’un grand, d’un magnifique sentiment nous emplisse entièrement. Et, hélas ! lorsque nous y courons, lorsque là-bas est devenu ici, tout est après comme avant, nous restons là dans notre pauvreté, dans nos étroites limites et notre âme assoiffée se tend vers le breuvage rafraîchissant qui lui a échappé.
C’est ainsi que le plus inquiet des vagabonds finalement aspire à revoir son pays, où il trouve dans sa chaumière, sur le sein d’une épouse, dans le cercle de ses enfants, dans les tâches imposées pour leur subsistance, la félicité qu’il avait en vain cherchée dans le vaste monde.
Johann Wolfgang von Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, 1774.