Quand j'ai découvert ce petit tableau au Louvre, il y a de cela un an à peu près, je ne m'attendais évidemment pas à ce qu'il me manque tant aujourd'hui - quand bien même j'en suis immédiatement tombé amoureux, en quelque sorte.
Il y a plus d'une raison à cela, je pense.
Peut-être est-ce à cause de ce grand fond gris pluvieux - un ciel plutôt qu'un mur.
Peut-être est-ce à cause des personnages, figés, un peu raides et le visage absent, chacun comme absorbé dans son propre rêve.
Peut-être aussi ressemble-t-il à l'une de ces photographies des tout débuts - du temps où il fallait poser interminablement sans jamais sourire (parce qu'il aurait été impossible de sourire tout le temps qu'il fallait conserver la pose) - mais en couleurs insensément fraîches, et en avance de près d'un siècle.
Ou bien peut-être est-ce à cause des fleurs sur le divan, du pan de tissu écarlate à gauche de l'image, ou de la musique que je n'entends pas.
La dernière fois que je suis allé au Louvre, le tableau n'était plus là ; on n'a pu me dire ce qu'il était devenu : peut-être prêté le temps d'une exposition, peut-être descendu à la réserve. Quand je retournerai au Louvre après tout ça, j'espère qu'il sera là de nouveau, à sa place, dans un coin de salle où personne ou presque ne le voit.
La Muta est ma Joconde à moi. Je l’ai croisée sous forme d’affiche encadrée dans la cage d’escalier d’une pension de famille sur la côte adriatique italienne où je passais mes vacances lorsque j’étais enfant. Je la voyais tous les jours, plusieurs fois par jour, entre le hall et le premier étage, et à chaque rencontre je m’arrêtais. Son nom me fascinait. Etait-elle vraiment muette ? Comment le silence peut-il remplacer un nom ? Qui était-elle ? Que pointe-elle de son index droit? Ses bijoux signifient-ils quelque chose ? Que dissimule-t-elle dans sa main ? J’avais, en la contemplant, la sensation que sa bulle de silence m’enveloppait également, ce qui, dans cet hôtel bruyant, était un présent inestimable.
J’aime toujours regarder ce portrait. J’aime la sobriété de la palette qui semble faire écho au modèle, lui donne une gravité de statue, j’aime aussi la virtuosité du traitement de la manche (regardez ces plis !), des cheveux fous qui s’échappent du voile transparent.