Du temps de Fra Filippo Lippi - lequel, avant de devenir un peintre fameux, avait été un moine peu recommandable - on peignait encore à la tempera.
C'est-à-dire qu'à cette époque, pour lier les pigments qu'on utilisait, on ne se servait pas d'huile, mais de jaune d’œuf ou de graisse.
On ne peignait pas non plus sur une toile de tissu tendue sur un châssis, mais sur des panneaux de bois assemblés et enduits d'une couche d'apprêt appelée le gesso.
Du temps de Fra Filippo Lippi, les couleurs s'achetaient au prix de l'or : certaines étaient des pierres précieuses venues de très loin et réduites en poudre ; d'autres, qu'on fabriquait à l'atelier du peintre, étaient des poisons violemment toxiques : le cinabre pour le rouge (soufre et mercure), l'orpiment pour le jaune (arsenic) et le blanc qu'on tirait du plomb.
Si bien qu'on pouvait tomber malade de peindre.
Du temps de Fra Filippo Lippi, parce qu'on peignait à la tempera, on ne pouvait pas changer d'idée : on ne pouvait pas reprendre un détail - on ne pouvait pas repeindre par-dessus. Autrement dit, les repentirs - ces corrections qu'on lit sous la surface des toiles peintes à l'huile, et qui sont comme l'histoire du tableau - les repentirs, donc, n'existaient pas encore.
Si l'on hésitait trop, on perdait des fortunes.
Il fallait donc être bien fortuné pour commander à Fra Filippo Lippi ce tableau où un jeune homme et une jeune femme, sans se regarder - ils ne sont pas même placés face à face - semblent parler par gestes de foi jurée et d'infidélité.