Le pavillon de madame Dubois se dressait au bout de l'allée. Elle y vivait depuis plus de vingt ans mais les murs, pourtant, semblaient toujours en parfait état. Les vitres des fenêtres étaient très propres ; si propres qu'on y voyait son reflet à travers. Elle m'invitait, quand j'étais plus jeune, à venir goûter chez elle. Sa maison paraissait plus grande de l'intérieur. Je me souviens qu'au premier étage, tous les rideaux étaient baissés. Dans l'une des pièces de la maison, il y avait un objet étrange, un meuble, haut d'un mètre cinquante environ. Il était recouvert d'un grand drap grisâtre. La salle était plongée dans la pénombre. Les fenêtres en étaient opaques, mais un petit rayon de soleil parvenait à passer par la serrure. Madame Dubois m'avait formellement interdit d'y entrer. Mais j'étais jeune vous disais-je, et un jour, la curiosité avait pris le dessus.
Ce jour-là était un jour ensoleillé. Tout se passait comme d'habitude. Le facteur était passé très tôt le matin, apportant à mes parents quelques factures. Monsieur Dubreuil, le voisin d'en face qui avait récemment emménagé, avait sorti ses poubelles. Et puis il y avait mon amie, Marie, qui était venue me chercher pour faire le chemin de l'école avec elle. Elle et moi ne nous connaissions que depuis deux ans. A la sortie de l'école, Marie rentra chez elle et je décidai d'en faire de même. Madame Dubois aussi était là. Comme toujours, elle attendait de l'autre côté du trottoir. Elle me fit ce signe de la main qui disait "allez, viens". Et je la suivis, ce qui pour moi était normal puisqu'elle était une amie de la famille. Nous ne marchâmes pas longtemps car sa maison n'était qu'à quelques mètres de l'école. Une fois arrivées chez elle, elle prit mon blouson et m'installa dans la salle à manger. Elle plaça ensuite devant moi des biscuits et une pomme. J'eus à peine le temps de la remercier qu'elle était déjà partie. Je terminai mon goûter et partis à sa recherche.
La maison était grande - très grande. Je la cherchai d'abord dans la salle de séjour ; elle n'y était pas. Puis je cherchai dans la cuisine ; toujours pas. "Elle tricote sûrement à l'étage", pensai-je. Je pris ensuite l'escalier et me retrouvai dans un grand couloir. J'entamais ma marche lorsque je vis cette pièce. La pièce interdite. Elle se distinguait des autres à l'étage. Elle avait l'air vieille et poussiéreuse. Je voyais qu'elle n'était pas totalement fermée. Je voulus alors entrer dans la pièce mais je me souvins des paroles de madame Dubois : "N'entre jamais dans cette pièce. Elle contient des choses que jamais tu ne devrais savoir ou voir. Si tu le fais, tu ne reviendras plus chez moi et ta famille et moi perdrons tout contact. Tu ne me reverrais jamais.". Elle insistait beaucoup sur le "jamais". Je savais qu'elle disait ça pour me faire peur mais par respect, je fis quelques pas en arrière et repris le couloir. Il était long. Je marchais, en vain. Elle n'était pas à l'étage. Je continuai le couloir et arrivai devant une porte. Vieille et poussiéreuse, tout comme la pièce interdite. Je repris ma marche. Le couloir semblait sans fin. Après quelques mètres je passai de nouveau devant cette porte. Je remarquai qu'elle non plus n'était pas totalement fermée. J'inspectai le couloir. Oui, c'était elle. La pièce interdite. Comment étais-je arrivée jusqu'à elle ? Je ne sais pas. Je mis ma main sur la porte et poussai. Elle s'ouvrit sans effort. Je risquai un pied dans la salle. Puis deux. Le parquet grinçait. On n'y voyait pas clairement. Les murs étaient sombres, d'une couleur légèrement verdâtre. Il flottait dans l'air une odeur de moisi. Il n'y avait que deux petites fenêtres. Elles étaient toutes les deux recouvertes d'une matière visqueuse. Et je le vis. L'objet ; le meuble. Je m'en approchai prudemment. Que pouvait-il cacher ? Je pris le drap qui le recouvrait à deux mains et le retirai d'un coup sec. Un épais nuage de poussière s'en dégagea. Je distinguai à travers une armoire. Elle était en bois, abîmée, vieille. Elle ne tenait presque plus sur ses pieds. Il y avait une clé accrochée à la serrure. Je fixai longuement l'armoire. J'attrapai ensuite la clé et la tournai. Les portes de l'armoire s'ouvrirent brusquement et une lumière m'éblouit le temps d'un instant. J'aperçus ensuite une ombre - non, une silhouette. Mais elle s'évanouit. J'avançai vers l'armoire... Elle ne contenait... rien. Je regardai l'intérieur une seconde fois. Rien. Elle était vide ! Mais pourquoi ? Pourquoi madame Dubois m'aurait-elle interdit cette pièce pour... rien ? Impossible. Je me retournai. Elle était là. Elle regardait droit devant elle. Ses yeux étaient pâles. Son regard, vide. J'allais m'excuser ; elle pointa l'armoire. Puis elle me prit par le bras. Elle me fit sortir.
A cette époque je ne comprenais pas. J'étais jeune et naïve. Aujourd'hui, je sais. Il y a deux ans, c'est-à-dire dix-huit ans après l'incident, je suis retournée chez madame Dubois. Bien sûr, elle n'était plus là. Elle avait étrangement disparu quelques semaines auparavant. Sa maison était inhabitée. Elle n'avait plus le même aspect. Deux, trois fenêtres étaient cassées, le toit tombait en miettes. J'entrai donc dans la maison. Elle ne paraissait plus aussi grande. Je montai directement à l'étage, dans cette pièce. Elle n'était plus la même. Il n'y avait plus d'armoire. A la place, il s'y trouvait des blocs de pierre. Des pierres que je n'avais jamais vues. Il y avait un trou dans le plafond... Je distinguai aussi des traces de brûlures au sol. C'est à ce moment que je compris. Madame Dubois n'était pas d'ici. Elle venait d'Ailleurs. Un Ailleurs qu'on ne connaîtra sûrement jamais. Elle était partie. Pour toujours.
Josély Ortet (4°1)