1.
Si j’ai jamais décrit la beauté que Dieu a pu mettre au corps d’une femme ou sur son visage, voilà bien l’agréable occasion de le faire à nouveau, sans nulle exagération. Ses cheveux, qu’elle portait flottant sur les épaules, étaient tels qu’à les voir on aurait pu les croire - si la chose était possible – entièrement faits d’or pur, tant ils étaient d’un blond éclatant. Elle avait le front blanc, dégagé et lisse, comme fait à la main – œuvre d’un véritable artiste sculptant la pierre ou l’ivoire ou le bois. Ses sourcils étaient bruns, bien écartés l’un de l’autre ; des yeux riants et vifs, joliment fendus, animaient sa figure. Elle avait le nez droit et fin. Sur son visage, le rouge se détachant sur le blanc lui allait mieux que sinople sur argent. Pour ravir le cœur et l’esprit des hommes, Dieu avait fait d’elle la merveille des merveilles ; il n’en avait jamais fait de semblables et n’en fit jamais plus.
Si j’ai jamais décrit la beauté que Dieu a pu mettre au corps d’une femme ou sur son visage, voilà bien l’agréable occasion de le faire à nouveau, sans nulle exagération. Ses cheveux, qu’elle portait flottant sur les épaules, étaient tels qu’à les voir on aurait pu les croire - si la chose était possible – entièrement faits d’or pur, tant ils étaient d’un blond éclatant. Elle avait le front blanc, dégagé et lisse, comme fait à la main – œuvre d’un véritable artiste sculptant la pierre ou l’ivoire ou le bois. Ses sourcils étaient bruns, bien écartés l’un de l’autre ; des yeux riants et vifs, joliment fendus, animaient sa figure. Elle avait le nez droit et fin. Sur son visage, le rouge se détachant sur le blanc lui allait mieux que sinople sur argent. Pour ravir le cœur et l’esprit des hommes, Dieu avait fait d’elle la merveille des merveilles ; il n’en avait jamais fait de semblables et n’en fit jamais plus.
2.
… Mais le troisième jour, ils voient arriver une demoiselle montée sur une mule de couleur fauve, tenant un fouet de la main droite. La demoiselle portait deux grosses tresses noires et, si le livre dit vrai qui rapporte tout cela, jamais il n’y eut de créature aussi parfaitement laide, pas même en enfer. Jamais on n’aurait pu voir métal aussi noir que ne l’étaient son cou et ses mains, et encore est-ce peu de choses auprès du reste de sa laideur. Ses yeux, aussi petits que ceux d’un rat, semblaient deux trous. Son nez, on eût dit celui d’un singe ou d’un chat, et ses oreilles celles d’un âne ou d’un bœuf. Ses dents rappelaient la couleur du jaune d’œuf : elles étaient rousses. Et elle avait une barbe de bouc. Au milieu de la poitrine une bosse, l’échine toute tordue, les reins et les épaules bien faits assurément pour mener le bal. Bosse dans le dos et jambes torses comme baguettes d’osier, bien faite, en vérité, pour conduire la danse.
Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du graal, traduction de Jacques Ribard.
… Mais le troisième jour, ils voient arriver une demoiselle montée sur une mule de couleur fauve, tenant un fouet de la main droite. La demoiselle portait deux grosses tresses noires et, si le livre dit vrai qui rapporte tout cela, jamais il n’y eut de créature aussi parfaitement laide, pas même en enfer. Jamais on n’aurait pu voir métal aussi noir que ne l’étaient son cou et ses mains, et encore est-ce peu de choses auprès du reste de sa laideur. Ses yeux, aussi petits que ceux d’un rat, semblaient deux trous. Son nez, on eût dit celui d’un singe ou d’un chat, et ses oreilles celles d’un âne ou d’un bœuf. Ses dents rappelaient la couleur du jaune d’œuf : elles étaient rousses. Et elle avait une barbe de bouc. Au milieu de la poitrine une bosse, l’échine toute tordue, les reins et les épaules bien faits assurément pour mener le bal. Bosse dans le dos et jambes torses comme baguettes d’osier, bien faite, en vérité, pour conduire la danse.
Chrétien de Troyes, Perceval ou le conte du graal, traduction de Jacques Ribard.