Pontormo a d'abord décoré des chars de carnaval, des églises et des couvents ; à cette époque il était apprécié pour les teintes fraîches qu'il employait, et pour l'art qu'il avait d'animer ses figures, pareilles à des volutes de fumée pastel, qui se tournaient gracieusement à la fois dans l'espace et dans leur propre chair.
Et puis Pontormo a sombré dans la mélancolie. C'est de cette saison de sa vie surtout que datent ses portraits. C'est ce que je préfère chez lui - on ne se refait pas.
Et parmi ses portraits il y a celui-ci.
Dans la descendance de Maria Salviati, on compte des personnages parmi les plus puissants de leur siècle, à Florence ou ailleurs en Europe. Des ducs, des reines.
Quand Pontormo peint son portrait, elle est déjà une femme influente, née de l'alliance des deux familles les plus fortunées de sa ville - laquelle ville n'est pas la moins riche du continent.
Et rien n'en paraît. Pas un bijou - pas une once de rouge non plus. Il faut dire que Maria Salviati est veuve - depuis plus de dix ans.
A la place du rouge et des bijoux, il y a cet étrange objet qu'elle tient dans sa main gauche (un palet ? Une médaille antique ? Le profil de son défunt époux sur un médaillon ?), cette petite fille sur laquelle elle veille et qui, d'après ce qu'on sait, n'était même pas de son sang - et ce visage.
Au milieu de toute cette austérité et de toute cette ombre, Maria Salviati semble sourire imperceptiblement ; formant contraste avec celui, plutôt anxieux, de la fillette, son regard irradie l'esprit et la vitalité.
Je me laisse prendre à ce visage.
Je n'ai jamais vu personne qui ressemble à Mona Lisa, et pour cause, c'est une pure fabrication.
Mais il me semble avoir déjà croisé ces yeux-là, de très rares fois. Je crois à ce visage davantage que je ne crois à certains visages réels - artificiels, inhabités, fabriqués eux aussi.
(On devrait interdire l'art : les artistes nous font dire toutes sortes de bêtises.)