Pliés en deux, tels de vieux mendiants sous leur sac,
Harpies cagneuses et crachotantes, à coups de jurons
Nous pataugions dans la gadoue, hors des obsédants éclairs,
Et pesamment clopinions vers notre lointain repos.
On marche en dormant. Beaucoup ont perdu leurs bottes
Et s'en vont, boiteux chaussés de sang, estropiés, aveugles ;
Ivres de fatigue, sourds même aux hululements estompés
Des Cinq-Neuf distancés qui s'abattent vers l'arrière.
Le gaz ! Le gaz ! Vite, les gars ! Effarés et à tâtons
Coiffant juste à temps les casques malaisés ;
Mais quelqu'un hurle encore et trébuche
Et s'effondre, se débattant, comme enlisé dans le feu ou la chaux...
Vaguement, par les vitres embuées, l'épaisse lumière verte,
Comme sous un océan de vert, je le vis se noyer.
Dans tous mes rêves, sous mes yeux impuissants,
Il plonge vers moi, se vide à flots, s'étouffe, il se noie.
Qu'en des rêves suffocants vos pas à vous aussi
Suivent le fourgon où nous l'avons jeté,
Que votre regard croise ces yeux blancs convulsés,
Cette face qui pend, comme d'un démon écœuré de péché ;
Que votre oreille à chaque cahot capte ces gargouillis
De sang jaillissant des poumons rongés d'écume,
Ce cancer obscène, ce rebut d'amertume tel, immonde,
L'ulcère à jamais corrompant la langue innocente, --
Ami, avec ce bel entrain plus ne direz
Aux enfants brûlant de gloire désespérée,
Ce Mensonge de toujours : Dulce et decorum est
Pro patria mori.
Wilfred Owen, 1917.