Par un passage qui s'ouvrait devant eux, les enfants pénétrèrent dans le champ de glace.
C'étaient deux minuscules points mouvants dans ce chaos de blocs cyclopéens.
Regardant çà et là sous les masses en surplomb comme si leur instinct les poussait à rechercher un abri, ils finirent par tomber sur un fossé, un fossé large et profond qui s'enfonçait tout droit dans la glace. On aurait dit le lit couvert de neige fraîche d'une rivière à sec. Les enfants progressèrent dans ce fossé jusqu'à un endroit où il s'enfonçait sous la glace. Là le fossé se transformait en une galerie voûtée dans laquelle ils entrèrent et continuèrent d'avancer. Sous la voûte tout était bleu, mais d'un bleu qui en pouvait se comparer à rien au monde, bien plus profond et plus beau que le bleu du firmament, comme de la lumière projetée à travers du verre bleu ciel. De la voûte pendaient des langues, des pointes, des concrétions de glace, la galerie s'enfonçait encore et encore, les enfants se demandaient jusqu'où l'on pouvait aller ainsi mais ils ne s'aventurèrent pas plus loin. On était bien sous cette voûte, il y faisait bon, il n'y neigeait pas, mais cette clarté bleue était effrayante, les enfants prirent peur et rebroussèrent chemin. Ils avancèrent un moment dans le fossé puis le quittèrent en grimpant sur le bord.
Ils progressèrent sur la glace, se faufilant tant bien que mal à travers les brèches, entre les dalles amoncelées.
« On va traverser là puis on descendra », dit Conrad.
« Oui », dit Sanna en s'accrochant à lui.
Ils quittèrent la glace et dévalèrent une pente neigeuse qui devait les mener vers la vallée. Mais ils ne purent descendre longtemps. Un autre fleuve de glace, comme un gigantesque rempart de blocs amoncelés barrait la neige molle, formant deux bras qui les prenaient en tenaille. Les flancs de ce rempart encapuchonné de neige scintillaient de couleurs, vert, bleuté, noir et même jaune et rouge. Ils le voyaient s'étendre au loin car l'interminable déluge de neige s'était ralenti. Avec la témérité de l'ignorance, ils grimpèrent dans ce chaos dans l'intention de le franchir pour atteindre l'autre côté. Ils se glissèrent à travers des crevasses, prenant appui du pied sur chaque protubérance, que ce fût rocher ou glace, rampèrent là où il n'était pas possible d'avancer autrement et se hissèrent ainsi jusqu'au sommet du rempart.
Il ne leur restait qu'à descendre de l'autre côté.
Mais il n'y avait pas d'autre côté.
Aussi loin que portait le regard des enfants, il n'y avait que de la glace. Ce n'étaient que pointes et blocs et masses enchevêtrés de glace couverte de neige. Au lieu d'un rempart qu'il suffisait de franchir pour retrouver la neige, une succession de murs de glace éventrés, disloqués, parcourus d'innombrables lignes bleues sinueuses, et derrière ces murs, il y avait d'autres murs semblables, et derrière ceux-ci d'autres encore que l'on devinait à peine à travers le rideau de la neige.
Adalbert Stifter, Cristal de roche, 1852.