On portait ce masque en dansant la danse naxnox : s'aidant de sa main, le danseur tenait devant son visage le lourd masque de pierre aux yeux clos ; sa main était dissimulée par son costume.
Et sans doute, personne parmi les spectateurs ne voulait voir la main tenir le masque ; pas plus d'ailleurs qu'ils n'auraient voulu voir qu'il s'agissait d'un masque. Ils assistaient à une danse de pouvoir ; si bien que le danseur était possédé d'un esprit, ou il possédait un esprit : le danseur était le naxnox, le masque le visage du naxnox.
C'était en tout cas ce qu'on voulait croire.
Arrivait un moment dans la danse où le danseur se retournait, et en un éclair il ôtait son masque ; il révélait alors sous le premier un autre masque, aux yeux ouverts.
Il pesait plus de trois kilogrammes ; pour le maintenir contre son visage, le danseur mordait dans un morceau de bois fixé à l'envers de la bouche du masque ; des attaches passant par des trous forés sur les côtés du visage de pierre et nouées derrière la tête du danseur en allégeaient quelque peu la charge.
Pour les spectateurs, le naxnox venait d'ouvrir les yeux : la lumière était née, l'esprit posait son regard sur le monde.
Entre les deux masques jumeaux, il y a aujourd'hui toute l'étendue de l'Atlantique.
Surtout, on ne sait pas grand chose à leur sujet. Tout ce qui précède est purement hypothétique.
On sait seulement qu'ils ont été collectés au dernier quart du XIXe siècle, à un an de distance, dans deux villages différents, et qu'ils formaient bel et bien un ensemble à l'origine (cela, on a pu le prouver scientifiquement.)
On sait aussi que les Tsimshian, comme d'autres peuples de la région, fabriquaient des masques à transformation : une tête de loup ou d'aigle dont les mâchoires s'ouvraient sur un visage d'homme, par exemple.
Et c'est tout ; on invente le reste en fonction de ce qui est probable, en espérant, si c'est possible, qu'un jour viendra où on aura enfin raison.