Je ne puis appeler cela un cauchemar, car j’avais pleinement conscience d’être endormie. Mais j’avais également conscience de me trouver dans ma chambre, couchée dans mon lit, comme je m’y trouvais en réalité. Je voyais, ou croyais voir, la pièce et ses meubles tels que je les avais vus avant de fermer les yeux, à cette exception près qu’il faisait très sombre. Dans cette obscurité j’aperçus une forme vague qui contournait le pied du lit. Tout d’abord je ne pus la distinguer nettement, mais je finis par me rendre compte que c’était un animal noir comme la suie, semblable à un chat monstrueux. Il me parut avoir quatre ou cinq pieds de long, car, lorsqu’il passa sur le devant du foyer, il en couvrit toute la longueur. Il ne cessait pas d'aller et de venir avec l’agitation sinistre et souple d’un fauve en cage. Malgré la terreur que j'éprouvais (comme vous pouvez l'imaginer), j’étais incapable de crier. L’horrible bête précipita son allure tandis que les ténèbres croissaient dans la chambre. Finalement, il fit si noir que je ne distinguais plus que les yeux de l’animal. Je le sentis bondir légèrement sur mon lit.
Sheridan Le Fanu, Carmilla, 1872.
Sheridan Le Fanu, Carmilla, 1872.