Les précautions prises par les personnes de tempérament nerveux sont contagieuses, et au bout d’un moment, ceux qui leur ressemblent les imitent immanquablement. J’avais adopté l’habitude de Carmilla et je fermais maintenant ma porte à clé, influencée par ses peurs irrationnelles d’envahisseurs nocturnes et de rôdeurs dangereux. J’avais aussi pris l’habitude de me livrer à une fouille rapide de ma chambre comme elle le faisait, afin d’être sûre qu’aucun voleur ni aucun assassin n’était caché dans quelque recoin de la pièce.
Une fois prises ces sages précautions, je me mis sur mon lit et m’endormis. Une chandelle continuait de brûler - une habitude très ancienne, et que rien n’aurait pu me convaincre d’abandonner.
Ainsi rassurée, j’aurais dû dormir paisiblement. Mais les rêves traversent les murs de pierre, illuminent les chambres obscures ou assombrissent celles qui sont claires. Ils entrent et sortent comme ils veulent et se rient des serruriers.
Le rêve que je fis cette nuit-là marqua le début d’un mal très étrange.
Il m’est difficile de parler de cauchemar. J’étais tout à fait consciente d’être endormie, mais je savais également que j’étais dans ma chambre, allongée dans mon lit. Je vis, ou du moins j’eus l’impression de voir la pièce et ses meubles tels que je les avais vus avant de m’endormir, à ceci près qu’il faisait très sombre. J’aperçus quelque chose bouger près du lit que je n’arrivai pas à distinguer tout d’abord. Puis je me rendis compte qu’il s’agissait d’un animal d’un noir profond qui ressemblait à un chat monstrueux. Il m’apparut faire quatre à cinq pieds de long, car il recouvrait la totalité de la descente de lit. Il se mit à tourner et à virer sans répit, avec l’agilité sinistre d’un animal en cage. Il m’était impossible de proférer un son ; j’étais terrifiée, comme vous pouvez l’imaginer. Ses mouvements étaient de plus en plus rapides et la pièce de plus en plus sombre jusqu’à ce que je ne pusse plus distinguer que ses yeux. Je le sentis sauter sans efforts sur le lit. Deux grands yeux s’approchèrent de mon visage, et, soudain, je ressentis une douleur fulgurante, comme si deux grandes aiguilles espacées de quelques pouces seulement s’enfonçaient profondément dans ma poitrine. Je me réveillai en hurlant. La chambre était éclairée par la chandelle qui était restée allumée toute la nuit, et je vis une silhouette féminine au pied de mon lit, un peu sur la droite. Elle portait une robe sombre et ample, et ses cheveux défaits couvraient ses épaules. Une statue de pierre n’aurait pas été plus immobile. Je ne percevais pas le moindre souffle de respiration. Pendant que je la fixais, il me sembla que la silhouette changeait de place et qu’elle s’était rapprochée de la porte. Quand elle fut tout contre, la porte s’ouvrit et la silhouette disparut.
Me sentant soulagée, je fus enfin capable de respirer et de bouger normalement. Ma première pensée fut que Carmilla m’avait joué un tour et que j’avais oublié de fermer ma porte à clé. Je me précipitai hors du lit et découvris qu’elle était bien fermée de l’intérieur, comme d’habitude. Je fus saisie d’horreur et n’eus pas le courage de l’ouvrir. Je me rejetai dans mon lit, enfonçai ma tête sous les couvertures et attendis, plus morte que vive, l’arrivée du matin.
Sheridan LE FANU, Carmilla, 1871.
Une fois prises ces sages précautions, je me mis sur mon lit et m’endormis. Une chandelle continuait de brûler - une habitude très ancienne, et que rien n’aurait pu me convaincre d’abandonner.
Ainsi rassurée, j’aurais dû dormir paisiblement. Mais les rêves traversent les murs de pierre, illuminent les chambres obscures ou assombrissent celles qui sont claires. Ils entrent et sortent comme ils veulent et se rient des serruriers.
Le rêve que je fis cette nuit-là marqua le début d’un mal très étrange.
Il m’est difficile de parler de cauchemar. J’étais tout à fait consciente d’être endormie, mais je savais également que j’étais dans ma chambre, allongée dans mon lit. Je vis, ou du moins j’eus l’impression de voir la pièce et ses meubles tels que je les avais vus avant de m’endormir, à ceci près qu’il faisait très sombre. J’aperçus quelque chose bouger près du lit que je n’arrivai pas à distinguer tout d’abord. Puis je me rendis compte qu’il s’agissait d’un animal d’un noir profond qui ressemblait à un chat monstrueux. Il m’apparut faire quatre à cinq pieds de long, car il recouvrait la totalité de la descente de lit. Il se mit à tourner et à virer sans répit, avec l’agilité sinistre d’un animal en cage. Il m’était impossible de proférer un son ; j’étais terrifiée, comme vous pouvez l’imaginer. Ses mouvements étaient de plus en plus rapides et la pièce de plus en plus sombre jusqu’à ce que je ne pusse plus distinguer que ses yeux. Je le sentis sauter sans efforts sur le lit. Deux grands yeux s’approchèrent de mon visage, et, soudain, je ressentis une douleur fulgurante, comme si deux grandes aiguilles espacées de quelques pouces seulement s’enfonçaient profondément dans ma poitrine. Je me réveillai en hurlant. La chambre était éclairée par la chandelle qui était restée allumée toute la nuit, et je vis une silhouette féminine au pied de mon lit, un peu sur la droite. Elle portait une robe sombre et ample, et ses cheveux défaits couvraient ses épaules. Une statue de pierre n’aurait pas été plus immobile. Je ne percevais pas le moindre souffle de respiration. Pendant que je la fixais, il me sembla que la silhouette changeait de place et qu’elle s’était rapprochée de la porte. Quand elle fut tout contre, la porte s’ouvrit et la silhouette disparut.
Me sentant soulagée, je fus enfin capable de respirer et de bouger normalement. Ma première pensée fut que Carmilla m’avait joué un tour et que j’avais oublié de fermer ma porte à clé. Je me précipitai hors du lit et découvris qu’elle était bien fermée de l’intérieur, comme d’habitude. Je fus saisie d’horreur et n’eus pas le courage de l’ouvrir. Je me rejetai dans mon lit, enfonçai ma tête sous les couvertures et attendis, plus morte que vive, l’arrivée du matin.
Sheridan LE FANU, Carmilla, 1871.