Il faisait beau ce matin-là. Un vent chaud de juillet soufflait doucement dans le feuillage des grands chênes et les fleurs sauvages. Les grillons chantaient dans les hautes herbes qui longeaient le sentier sablonneux. Un enfant aux cheveux bruns marchait rapidement sur le sentier. Il finit par distinguer une bâtisse blanche, et entendit une cloche sonner au loin. Il se mit alors à courir. Comment arriver en retard durant le dernier jour d’école, alors qu’il avait été irréprochable jusqu’à maintenant ? Non, pour lui il n’en était pas question. Il redoubla d’efforts et se rapprocha de l’école. Il franchit le vieux portail dont la peinture bleue était grignotée part le temps. Cependant, il ralentit l’allure. Alors que les élèves étaient déjà alignés dans les rangs de leurs classes respectives, sous le grand pin, lui venait tout juste d’entrer dans l’enceinte du petit établissement. Le jeune garçon, François, ne se pressa pas. La tête baissée, il essayait de se faufiler jusqu’à sa classe sans se faire remarquer par ses camardes. Peine perdue. Il se fit aussitôt repérer par l’un d’eux.
- Alors la limace, on s’ presse pas ? dit-il à François, un rictus aux lèvres.
Le jeune garçon soupira mais sa figure resta paisible. Il pensait qu’au moins, c’était la première fois qu’on se moquait de lui à une heure si tardive. Il accéléra alors et se mit à la fin du rang. Leur professeur, Monsieur Sairois les fit rentrer dans la classe. François alla aussitôt s’installer à sa table de travail, mais bousculé par trois garçons qui se trouvaient derrière lui, il eut du mal à y parvenir. La dictée du vendredi commença. Elle parut plus facile que d’habitude, car les dictées, inventées par leur maître d’école, étaient habituellement criblées çà et là d’accords insoupçonnés, de noms communs impossibles à écrire, de verbes inconnus et d’autres pièges innombrables, qui étaient la spécialité de M. Sairois. Après la dictée, ils passèrent à la résolution de problèmes. La sonnerie de la récréation retentit quelques minutes plus tard et les enfants sortirent.
Ils rentrèrent dix minutes après et continuèrent leurs exercices pendant deux heures, puis la pause déjeuner arriva. François attendit ses amis, et quand il les aperçut sortant de la classe, les rejoignit.
-Dis, tu m’ donnes ton harmonica ? demanda un jeune garçon blond nommé Jules, aux joues rebondies et à l’embonpoint naissant. Celui qu’est dans ton sac. J’ l’ai vu en cours de maths.
-Euh, oui… répondit François, effrayé à l’idée de passer pour un ladre, ou pire, de perdre ses amis et se retrouver seul. Il le lui tendit et Jules le fourra rapidement dans son sac.
-Alors comme ça, ton surnom c’est limace ? En même temps, si t’es même pas capable d’arriver à l’heure… ricana Léo, un autre garçon plus grand que Jules et François, maigre comme un clou.
Il jeta un regard en coin à François. Celui-ci baissa les yeux sur ses souliers et crispa les poings. De quel droit ce grand idiot de Léo, incapable d’effectuer une division euclidienne correctement et ayant redoublé deux fois sa classe de CM1, ce permettait-il de lui faire la leçon, à lui qui était l’un des premiers élèves de la classe? Cependant, François ne répondit pas.
Après le déjeuner, l’après-midi commença, au même rythme que le matin. A la sortie de l’école, François et ses copains rentrèrent chez eux ensemble. A la moitié du chemin, Jules, Léo et deux autres enfants s’arrêtèrent. François se retourna et les quatre autres l’entourèrent.
Martin lui demanda alors :
-Tu nous donnes un peu d’ ton goûter ? On a trop faim !
François ne savait que faire. Sa mère lui avait interdit de partager son goûter avec qui que ce soit: surtout pas avec ces gamins-là. Ils n’avaient qu’à en avoir un.
Cependant, François, gêné, ouvrit son sac et sortit son casse-croûte. Le voyant hésiter, les gamins le lui arrachèrent des mains et détalèrent en courant.
-Merci vieux !lui crièrent-ils au loin, le laissant seul au milieu du chemin.
Il aurait dû se méfier, car cela se passait tout le temps de la même manière : ses amis se moquaient de lui subtilement, en profitaient pour lui demander ce qu’il possédait, puis le laissaient tomber un jour ou deux quand ils s’en lassaient. Ils revenaient vers lui seulement lorsque sa mère lui préparait un goûter, ou que François ramenait un jouet un tant soit peu attractif. Pourtant, François ne se révoltait jamais. En effet, celui-ci était certain que ses camarades le choisissaient en fonction de son attitude et que si celle-ci ne leur convenait pas, ils le rabaissaient afin de se donner un air supérieur, pour lui montrer qu’il n’était rien et qu’il devait plutôt les remercier de pouvoir rester avec eux. Il trouvait cela complètement idiot et injuste mais pensait que ce n’était qu’à cette condition que ses amis resteraient avec lui. Il se taisait alors, laissant toutes les injures et moqueries passer, terrorisé à l’idée de se retrouver seul.
Une fois rentré chez lui, sa mère lui demanda s’il avait mangé son goûter. Il lui répondit qu’il l’avait mangé, sans rien partager.
-Tant mieux si tu l’as mangé, lui répondit sa mère car il faudra attendre le retour de ton père pour le dîner, et il ne reviendra sûrement pas avant 21 heures.
Le petit garçon se rembrunit, car il avait oublié que son père rentrait tard le vendredi. Il dû attendre quatre heures durant le retour de son père, essayant de penser à autre chose qu’à son ventre criant famine, et à son plat de canard mariné servit à la cantine qu’il n’avait presque pas touché, étant en retard à son atelier de dessin.
Les vacances passèrent et la rentrée arriva. Les enfants durent retourner à l’école. Le jour de la rentrée, François ne retrouva pas ses anciens copains. Il ne les vit que de loin. Ils s’étaient définitivement lassés de lui. François se retrouva alors seul pendant plusieurs années, et eut alors tout le loisir de se demander ce qui se serait passé s’il n’avait jamais eu de goûter.
Alice, 4°1, 2024.