Le Vanuatu est un petit chapelet d'îles volcaniques, quelque part au nord-ouest de l'Australie, à un jet de pierre de la Nouvelle-Calédonie.
Le navigateur James Cook, après en avoir fait le tour complet en 1774, avait nommé cet archipel les Nouvelles-Hébrides.
"Turu kuru", dans la langue particulière de l'île où la sculpture a vu le jour, signifie : "Celui qui se tient debout et te regarde" ; ou plus précisément, selon d'autres : "Celui qui est là comme un arbre mort et n'a plus rien à faire." Elle avait dû avoir un autre nom encore avant, du temps où elle avait une utilité. Dans la tradition du Vanuatu, les objets, comme les êtres humains, changent de nom quand ils changent d'usage ou de statut.
C'est une grande sculpture, un peu plus haute qu'un homme ; au commencement elle était faite pour impressionner : devant son regard abaissé et sévère (elle était placée en surplomb, comme un Christ en croix) les visiteurs courbaient le front et s'interdisaient de penser à mal.
Et puis elle avait perdu ce rôle, elle avait changé de propriétaire, orné le devant d'une maison des hommes ; on l'avait échangée contre du tabac ou jetée à la mer comme une fausse idole - des missionnaires avaient converti l'île au christianisme - ; et puis peu après on l'avait repêchée et repeinte en bleue pour lui donner meilleure allure et revendue à des collectionneurs : on ne sait plus vraiment.
Depuis quelque temps, quelques décennies probablement, certains des habitants de l'île, qui ne l'ont pas oubliée, se sont mis à nommer la sculpture "atur kuru" - "Celui qui n'est plus à sa place" - parce qu'elle a déménagé il y a près d'un siècle ; aujourd'hui elle est exposée de l'autre côté du monde, dans le Pavillon des Cessions du Louvre, où je l'ai vue.