Dans la réserve, il m’est plusieurs fois arrivé de voir des iguanes, ces grands lézards, alors qu’ils se chauffaient au soleil sur une pierre plate dans le lit d’un fleuve ou d’une rivière. Leur forme n’est pas belle, mais on ne saurait rien imaginer de plus joli que leurs couleurs. Elles brillent comme un monceau de pierres précieuses ou un panneau de vieux vitrail. Quand ils s’enfuient à votre approche, il se fait un éclair d’azur, de vert et de violet sur les pierres, la teinte semble s’attarder en l’air après eux comme la queue lumineuse d’une comète.
Une fois j’ai tué un iguane. J’étais certaine de pouvoir tirer tant de jolies choses de sa peau. Mais il se produisit alors un phénomène étrange que je n’ai jamais oublié. En m’approchant de l’animal étendu mort sur sa pierre, oui, vraiment, dans l’intervalle de ces quelque vingt pas, il se fana, pâlit, toutes ses couleurs s’évanouirent comme dans un seul soupir interminable et, quand je le touchai, il était gris et terne, pareil à un bloc de ciment. C’était la vie impétueuse du sang qui l’animait qui l’avait fait briller de cet éclat splendide. A présent que la flamme avait été éteinte et que l’âme s’était enfuie, l’iguane était aussi inerte qu’un sac de sable.
Bien souvent depuis j’ai tué un iguane, en quelque sorte, et dans ces occasions je me suis rappelé celui de la réserve. Un jour que j’étais à Meru je vis une jeune native avec un bracelet - une bande de cuir, large de deux pouces, et décorée sur toute sa surface de minuscules turquoises, perles colorées dont la teinte variait imperceptiblement entre le vert, le bleu ciel et l’outremer. C’était une chose incroyablement vivante, au point qu’elle semblait palpiter sur son bras ; alors je l’ai voulue pour moi, et j’ai envoyé Farah la lui acheter. A peine l’avais-je passée à mon bras qu’elle rendait l’âme. Ce n’était plus rien à présent, une petite babiole que j’avais payée. Car c’était le jeu des couleurs, le contraste des turquoises avec la peau nègre – cette peau de la native, d’un brun très sombre, avec quelque chose de vif et de doux à la fois, comme la tourbe et les poteries noires – qui donnait vie au bracelet.
Karen Blixen, La Ferme africaine, 1937.
Une fois j’ai tué un iguane. J’étais certaine de pouvoir tirer tant de jolies choses de sa peau. Mais il se produisit alors un phénomène étrange que je n’ai jamais oublié. En m’approchant de l’animal étendu mort sur sa pierre, oui, vraiment, dans l’intervalle de ces quelque vingt pas, il se fana, pâlit, toutes ses couleurs s’évanouirent comme dans un seul soupir interminable et, quand je le touchai, il était gris et terne, pareil à un bloc de ciment. C’était la vie impétueuse du sang qui l’animait qui l’avait fait briller de cet éclat splendide. A présent que la flamme avait été éteinte et que l’âme s’était enfuie, l’iguane était aussi inerte qu’un sac de sable.
Bien souvent depuis j’ai tué un iguane, en quelque sorte, et dans ces occasions je me suis rappelé celui de la réserve. Un jour que j’étais à Meru je vis une jeune native avec un bracelet - une bande de cuir, large de deux pouces, et décorée sur toute sa surface de minuscules turquoises, perles colorées dont la teinte variait imperceptiblement entre le vert, le bleu ciel et l’outremer. C’était une chose incroyablement vivante, au point qu’elle semblait palpiter sur son bras ; alors je l’ai voulue pour moi, et j’ai envoyé Farah la lui acheter. A peine l’avais-je passée à mon bras qu’elle rendait l’âme. Ce n’était plus rien à présent, une petite babiole que j’avais payée. Car c’était le jeu des couleurs, le contraste des turquoises avec la peau nègre – cette peau de la native, d’un brun très sombre, avec quelque chose de vif et de doux à la fois, comme la tourbe et les poteries noires – qui donnait vie au bracelet.
Karen Blixen, La Ferme africaine, 1937.