Je m’aperçus alors d’un singulier sifflement tout contre mon oreille, et je découvris que ce bruit provenait de Tigre, qui haletait et soufflait, comme s’il était en proie à la plus grande excitation, les globes de ses yeux étincelant furieusement à travers l’obscurité. Je lui adressai la parole, et il me répondit par un sourd grognement ; et puis il se tint tranquille. Je retombai alors dans ma torpeur, et j’en fus de nouveau tiré de la même manière. Cela se répéta trois ou quatre fois ; enfin sa conduite m’inspira une telle frayeur, que je me sentis tout à fait éveillé. Il était alors couché tout contre l’ouverture de la caisse, grognant terriblement, quoique dans une espèce de ton bas et sourd, et grinçant des dents comme s’il était tourmenté par de fortes convulsions.
Je ne doutais pas que la privation d’eau et l’atmosphère renfermée de la cale ne l’eussent rendu enragé, et je ne savais absolument quel parti prendre. Je ne pouvais pas supporter la pensée de le tuer, et cependant cela me semblait absolument nécessaire pour mon propre salut. Je distinguais parfaitement ses yeux fixés sur moi avec une expression d’animosité mortelle, et je croyais à chaque instant qu’il allait m’attaquer. A la fin, je sentis que je ne pouvais pas endurer plus longtemps cette terrible situation, et je résolus de sortir de ma caisse à tout hasard et d’en finir avec lui, si une opposition de sa part rendait cette extrémité nécessaire. Il me fallait, pour fuir, passer directement sur son corps, et l’on eût dit qu’il pressentait déjà mon dessein ; - il se dressa sur ses pattes de devant, - ce que je devinai au changement de position de ses yeux – et déploya la rangée blanche de ses crocs que je pouvais distinguer sans peine. Je pris les restes de la peau du jambon et la bouteille qui contenait la liqueur, ainsi qu’un grand couteau de table qu’Auguste m’avait laissé ; - puis, m’enveloppant de mon paletot, serré autant que possible, je fis un mouvement vers l’ouverture de la caisse.
Edgar Allan Poe, Aventures d’Arthur Gordon Pym,
1838 (traduction de Charles Baudelaire).
Je ne doutais pas que la privation d’eau et l’atmosphère renfermée de la cale ne l’eussent rendu enragé, et je ne savais absolument quel parti prendre. Je ne pouvais pas supporter la pensée de le tuer, et cependant cela me semblait absolument nécessaire pour mon propre salut. Je distinguais parfaitement ses yeux fixés sur moi avec une expression d’animosité mortelle, et je croyais à chaque instant qu’il allait m’attaquer. A la fin, je sentis que je ne pouvais pas endurer plus longtemps cette terrible situation, et je résolus de sortir de ma caisse à tout hasard et d’en finir avec lui, si une opposition de sa part rendait cette extrémité nécessaire. Il me fallait, pour fuir, passer directement sur son corps, et l’on eût dit qu’il pressentait déjà mon dessein ; - il se dressa sur ses pattes de devant, - ce que je devinai au changement de position de ses yeux – et déploya la rangée blanche de ses crocs que je pouvais distinguer sans peine. Je pris les restes de la peau du jambon et la bouteille qui contenait la liqueur, ainsi qu’un grand couteau de table qu’Auguste m’avait laissé ; - puis, m’enveloppant de mon paletot, serré autant que possible, je fis un mouvement vers l’ouverture de la caisse.
Edgar Allan Poe, Aventures d’Arthur Gordon Pym,
1838 (traduction de Charles Baudelaire).