Il y a ceux qui, quand ils découvrent ce petit tableau, rient de cette trogne enlaidie par l'horrible nez déformé.
Et puis il y a ceux qui voient que l'enfant a la main posée sur le cœur de l'homme et lève vers lui un regard où se lit tout le contraire du dégoût, de l'horreur ou de la pitié ; qui voient que le vieil homme abaisse sur l'enfant des yeux épuisés et pleins de douceur.
On ne sait rien de ces deux personnages : le vieil homme au moins a existé, et sa famille, sans le moindre doute, était riche - car le rouge de cette époque valait des fortunes, souvenez-vous. On a retrouvé du même artiste un dessin qui le représente, les traits relâchés et les yeux fermés : ses proches ont dû passer commande du portrait à la mort du vieillard ; le peintre est venu, il a fait le croquis du visage et il a travaillé à partir de là.
Quant au petit garçon, on ne sait pas qui il était. Il n'était peut-être personne - tout juste un moyen que le peintre a trouvé pour nous donner à voir ce qu'autrement nous n'aurions jamais vu, à cause de cet affreux nez dont on voudrait tant avoir le droit de rire : le visage doux, empreint de bonté, d'un homme arrivé au terme de son existence.
L'homme en question, après tout, pourrait bien n'avoir été ni doux ni bon, ou pas autant que ce que laisse entendre le portrait. Peu m'importe. L'émotion que j'éprouve à le regarder reste la même.