I
C'est à ce moment-là que je vis ce buste. Il suscitait en moi un tel effroi que je ne pouvais dire un mot. Alors je contemplais. Je reconnus le grand Auguste, malgré l'humiliation qui émanait du vestige oxydé — détail qui m'importait peu sur le moment. Lui, qui avait en temps normal tant de prestance, était représenté là comme vaincu et impuissant. Puis je remarquai cet éclat brillant, de l'émail sans doute, au plus profond de ses yeux. Cela donnait à ses pupilles un vivant sans pareil. Ils paraissaient réels comme si, à tout moment, leur position pouvait changer. J'étais impressionnée, comme aspirée par ce regard froid, à la fois vivant et vide de sens. Je n'avais jamais ressenti un tel choc. La peur me prenait toute entière, alors je m'enfuis, accompagnée à présent d'une crainte indélébile.
Paloma.
Paloma.
II
C'est alors que je vis ce buste plongé dans le noir, éclairé seulement par un faisceau de lumière qui donne une impression de grandeur à la personne représentée. Quand je vois ce buste droit dans les yeux je me sens inférieur et intimidé par son regard, qui me suit quand je me déplace d'un côté ou de l'autre. Je suis en face d'une âme emprisonnée dans le cuivre vieilli par le temps. Celle ci semble vouloir s'échapper, mais reste emprisonnée : elle a dû sûrement perdre espoir depuis le temps que cette âme est prisonnière de ce buste. Cela me donne envie de lui parler pour lui demander ce qui l’empêche de s'enfuir, mais je ne veut pas passer pour un fou au près des autres invités ; alors je m'enfuis au buffet.
Victor.
Victor.
III
Je suis sujet de ce crime.
Je ne me souviens plus si cela est ma faute.
L'amnésie a su me suivre, je suis sous son emprise.
C'est si suspect...
C'est à peine si je parviens à y croire.
Et le craquement de mes os me fait souffrir.
La gorge nouée par cette étrange corde, si froide, si sèche, faite de saphir, je perds le souffle.
Je sais qu'elle me serre, et qu'elle ne s'arrêtera que lorsque j'aurai rendu ma dernière expiration.
J'ai les yeux clos, je les ferme, forcé par ma peur envahissante.
Suis-je fou ?
Une voix me siffle d'ouvrir les yeux.
Je dois l'estomper !
Mes yeux s'écarquillent en entendant ces mots incessants, je me retrouve, ainsi, glacé.
Car oui, je suis frigorifié, puis... je me sens comme dans l'impossibilité de faire un geste.
Je suis face à cette créature au regard sublime.
Ça ne peut être celle qui me fait souffrir.
Tant de beauté dans un être si terrible.
Je l'implore de toutes mes forces restantes, le visage pétrifié de peur et de fascination, le visage pleurant d'une façon statique.
Ma nuque casse sous la force de cette liane. Je la sens qui se brise, et pourtant je ne bouge pas ; parce que je ne le peux pas.
Ma vision est tout autre une fois le crâne au sol.
Ses démons m'ont fait sombrer.
J'aperçois sa silhouette élancée dans cette ombre éclairée par un soleil nuancé de gris et de noir.
Elle m'a réduit à l'état de statue.
Je souhaiterais alors figer ma vue sur cette vision si douce de son regard transperçant mon corps, me paralysant ainsi pour une éternité durant laquelle mes yeux pleureront son départ.
Lou-Anne.
Je ne me souviens plus si cela est ma faute.
L'amnésie a su me suivre, je suis sous son emprise.
C'est si suspect...
C'est à peine si je parviens à y croire.
Et le craquement de mes os me fait souffrir.
La gorge nouée par cette étrange corde, si froide, si sèche, faite de saphir, je perds le souffle.
Je sais qu'elle me serre, et qu'elle ne s'arrêtera que lorsque j'aurai rendu ma dernière expiration.
J'ai les yeux clos, je les ferme, forcé par ma peur envahissante.
Suis-je fou ?
Une voix me siffle d'ouvrir les yeux.
Je dois l'estomper !
Mes yeux s'écarquillent en entendant ces mots incessants, je me retrouve, ainsi, glacé.
Car oui, je suis frigorifié, puis... je me sens comme dans l'impossibilité de faire un geste.
Je suis face à cette créature au regard sublime.
Ça ne peut être celle qui me fait souffrir.
Tant de beauté dans un être si terrible.
Je l'implore de toutes mes forces restantes, le visage pétrifié de peur et de fascination, le visage pleurant d'une façon statique.
Ma nuque casse sous la force de cette liane. Je la sens qui se brise, et pourtant je ne bouge pas ; parce que je ne le peux pas.
Ma vision est tout autre une fois le crâne au sol.
Ses démons m'ont fait sombrer.
J'aperçois sa silhouette élancée dans cette ombre éclairée par un soleil nuancé de gris et de noir.
Elle m'a réduit à l'état de statue.
Je souhaiterais alors figer ma vue sur cette vision si douce de son regard transperçant mon corps, me paralysant ainsi pour une éternité durant laquelle mes yeux pleureront son départ.
Lou-Anne.
IV
Je dus l'observer longtemps, ce buste, avant que n'arrivent les premières émotions.
Mais n'est-ce pas le propre d'une œuvre d'art que de nous laisser contemplatif, avant d'attendre de s'adresser à nous ?
A partir de là commença un étrange face-à-face.
Il avait piégé mes yeux, plongés dans la justesse d'une expression prisonnière du bronze.
Je cherchais en vain avec la plus grande frustration à croiser son regard, au-delà du temps, regard sans cesse fuyant, inaccessible, insaisissable. Je me tenais parfaitement immobile, en reflet de cet hypnotique personnage.
Dans un immense effort, je réussis à reprendre possession de mes yeux. Comme libérée de cette emprise infernale, je pus balayer l'ensemble de son visage. Ses traits fins à la symétrie parfaite étaient comme sculptés par une habile divinité. La candeur qu'inspirait son visage contrastait avec le désespoir de son regard.
Il était une jeunesse morte, usée par le temps mais dont les traits figés traversaient les années. Un visage cadavérique au teint verdâtre, enveloppe charnelle en décomposition mais qui, malgré tout, gardait sa beauté.
J'éprouvai alors le vif désir de craqueler cette enveloppe de bronze pour en extraire la flamme de vie, toujours prisonnière de ce moule de matière froide.
Un malaise monta alors dans tout mon corps telle une nausée, le désespoir de cet homme s'infiltra en moi à mesure que je l'observais.
Je ne sais pas trop pourquoi, peut-être par peur de rester moi aussi figée dans cette torpeur, de ma main je cachai ses yeux si intrigants, cet insupportable regard. Comme pour le délivrer... me délivrer d'une tension grandissante. C'est un autre visage qui m'apparut alors, visage d'une quiétude, d'une sérénité déroutante. Je contemplais un homme endormi, les traits apaisés, et je l'étais avec eux. Je n'osai pas retirer ma main, je ne voulus pas retrouver cette expression de souffrance, cet aspect torturé qui me possédait.
L'insoutenable regard d'un homme, semblant vouloir m'extraire de ma propre vie et m'attirer dans sa captivité, rejoindre cette éternité minérale. Comme si d'autres âmes malheureuses avaient été capturées, ayant commis l'erreur de l'observer un peu trop longtemps.
Pauvres contemplateurs infortunés.
Jade.