La nuit est un grand espace cubique.
Résistant.
Extrêmement résistant.
Entassement de murs et en tous sens, qui vous limitent, qui veulent vous limiter.
Ce qu'il ne faut pas accepter.
Moi, je n'en sors pas.
Que d'obstacles pourtant j'ai déjà renversés.
Que de murs bousculés.
Mais il en reste.
Oh! pour ça, il en reste.
En ce moment je fais surtout la guerre des plafonds.
Les voûtes dures qui se forment au-dessus de moi, car il s'en présente, je les martèle, je les pilonne, je les fais sauter, éclater, crever, il s'en trouve toujours d'autres par-derrière.
De mon énorme marteau jamais fatigué, je leur assène des coups à assommer un mammouth s'il s'en trouvait encore un... et là.
Mais il ne s'y rencontre que voûtes, voûtes têtues, cependant qu'il faut qu'elles se brisent et s'abattent.
Il s'agit ensuite de désencombrer ce lieu conquis des débris qui masquent ce qui vient au-delà, que je ne devine d'ailleurs que trop, car il m'est évident qu'il y a encore une voûte plus loin, plus haut, qu'il faudra abattre aussi.
Ce qui est dur sous moi, ne me gêne pas moins, obstacle que je ne puis, que je ne dois supporter, matière du même immense bloc détesté où j'ai été mis à vivre.
A coups de pic, je l'éventre, puis j'éventre le suivant.
De cave en cave, je descends toujours, crevant les voûtes, arrachant les étais.
Je descends imperturbable, infatigué par la découverte de caves sans fin dont il y a un nombre que depuis longtemps j'ai cessé de compter, je creuse, je creuse toujours jusqu'à ce que, un travail immense fait, je sois obligé de remonter pour me rendre compte de la direction suivie, car on finit par creuser en colimaçon.
Mais arrivé là-haut, je suis pressé de redescendre, appelé par l'immensité des réduits à défoncer qui m'attendent.
Je descends sans faire attention à rien, en enjambées de géant, je descends des marches comme celles des siècles — et enfin, au-delà des marches, je me précipite dans le gouffre de mes fouilles, plus vite, plus vite, plus désordonnément, jusqu'à buter sur l'obstacle final, momentanément final, et je me remets à déblayer avec une fureur nouvelle, à déblayer, à déblayer, creusant dans la masse des murs qui n'en finissent pas et qui m'empêchent de partir du bon pied.
Mais la situation un jour, se présentera différente, peut-être.
Henri Michaux, La Vie dans les plis, 1949.
Résistant.
Extrêmement résistant.
Entassement de murs et en tous sens, qui vous limitent, qui veulent vous limiter.
Ce qu'il ne faut pas accepter.
Moi, je n'en sors pas.
Que d'obstacles pourtant j'ai déjà renversés.
Que de murs bousculés.
Mais il en reste.
Oh! pour ça, il en reste.
En ce moment je fais surtout la guerre des plafonds.
Les voûtes dures qui se forment au-dessus de moi, car il s'en présente, je les martèle, je les pilonne, je les fais sauter, éclater, crever, il s'en trouve toujours d'autres par-derrière.
De mon énorme marteau jamais fatigué, je leur assène des coups à assommer un mammouth s'il s'en trouvait encore un... et là.
Mais il ne s'y rencontre que voûtes, voûtes têtues, cependant qu'il faut qu'elles se brisent et s'abattent.
Il s'agit ensuite de désencombrer ce lieu conquis des débris qui masquent ce qui vient au-delà, que je ne devine d'ailleurs que trop, car il m'est évident qu'il y a encore une voûte plus loin, plus haut, qu'il faudra abattre aussi.
Ce qui est dur sous moi, ne me gêne pas moins, obstacle que je ne puis, que je ne dois supporter, matière du même immense bloc détesté où j'ai été mis à vivre.
A coups de pic, je l'éventre, puis j'éventre le suivant.
De cave en cave, je descends toujours, crevant les voûtes, arrachant les étais.
Je descends imperturbable, infatigué par la découverte de caves sans fin dont il y a un nombre que depuis longtemps j'ai cessé de compter, je creuse, je creuse toujours jusqu'à ce que, un travail immense fait, je sois obligé de remonter pour me rendre compte de la direction suivie, car on finit par creuser en colimaçon.
Mais arrivé là-haut, je suis pressé de redescendre, appelé par l'immensité des réduits à défoncer qui m'attendent.
Je descends sans faire attention à rien, en enjambées de géant, je descends des marches comme celles des siècles — et enfin, au-delà des marches, je me précipite dans le gouffre de mes fouilles, plus vite, plus vite, plus désordonnément, jusqu'à buter sur l'obstacle final, momentanément final, et je me remets à déblayer avec une fureur nouvelle, à déblayer, à déblayer, creusant dans la masse des murs qui n'en finissent pas et qui m'empêchent de partir du bon pied.
Mais la situation un jour, se présentera différente, peut-être.
Henri Michaux, La Vie dans les plis, 1949.