« Je n’aime pas les regards faux. Regardez-moi dans les yeux. Je saurai ce que vous pensez. »
Ainsi tu t’es toi-même prêtée à notre jeu. Tu ne pouvais pas ne plus t’y prêter. Et puis, ça ne te déplaît pas, ma tendre mère ! Au dîner, en silence, voilà le bon moment. Rien à dire. Tu ne me prendras pas en défaut. J’ai les mains sur la table. Mon dos n’offense pas la chaise. Je suis terriblement correct. Aucune faille légale dans mon attitude. Je peux te regarder fixement. Folcoche, c’est mon droit. Je te fixe donc, je te fixe éperdument. Je ne fais que cela de te fixer. Et je te parle en moi. Je te parle et tu ne m’entends pas. Je te dis : « Folcoche ! Regarde-moi donc, Folcoche, je te cause ! » Alors ton regard se lève de dessus tes nouilles à l’eau, ton regard se lève comme une vipère et se balance, indécis, cherchant l’endroit faible qui n’existe pas. Non, tu ne mordras pas, Folcoche ! Les vipères, ça me connaît. Je m’en fous des vipères. Tu as dit toi-même, un jour, devant moi, que, tout enfant, j’en avais étranglé une… […] Oh ! tu peux durcir ton vert de prunelle, ton vert-de-gris de poison de regard. Moi, je ne baisserai pas les yeux. D’abord, parce que ça t’emmerde. Ensuite, parce que Chiffe me regarde avec admiration, lui qui sait que je tente de battre le record des sept minutes vingt-trois secondes que j’ai établi l’autre jour et qu’il est en train de contrôler sans en avoir l’air sur la montre bracelet de ton propre poignet.
Hervé Bazin, Vipère au poing, 1948.
Ainsi tu t’es toi-même prêtée à notre jeu. Tu ne pouvais pas ne plus t’y prêter. Et puis, ça ne te déplaît pas, ma tendre mère ! Au dîner, en silence, voilà le bon moment. Rien à dire. Tu ne me prendras pas en défaut. J’ai les mains sur la table. Mon dos n’offense pas la chaise. Je suis terriblement correct. Aucune faille légale dans mon attitude. Je peux te regarder fixement. Folcoche, c’est mon droit. Je te fixe donc, je te fixe éperdument. Je ne fais que cela de te fixer. Et je te parle en moi. Je te parle et tu ne m’entends pas. Je te dis : « Folcoche ! Regarde-moi donc, Folcoche, je te cause ! » Alors ton regard se lève de dessus tes nouilles à l’eau, ton regard se lève comme une vipère et se balance, indécis, cherchant l’endroit faible qui n’existe pas. Non, tu ne mordras pas, Folcoche ! Les vipères, ça me connaît. Je m’en fous des vipères. Tu as dit toi-même, un jour, devant moi, que, tout enfant, j’en avais étranglé une… […] Oh ! tu peux durcir ton vert de prunelle, ton vert-de-gris de poison de regard. Moi, je ne baisserai pas les yeux. D’abord, parce que ça t’emmerde. Ensuite, parce que Chiffe me regarde avec admiration, lui qui sait que je tente de battre le record des sept minutes vingt-trois secondes que j’ai établi l’autre jour et qu’il est en train de contrôler sans en avoir l’air sur la montre bracelet de ton propre poignet.
Hervé Bazin, Vipère au poing, 1948.