"Merveilleux !" Il regarde mon visage et s'exclame. Ceci n'est évidemment pas fait pour nourrir ma vanité. Car tous les visages existants sont "merveilleux" à ses yeux. C'est pour saisir cette merveille que, minutieusement, il copie mon visage. Il ne s'agit pas de fabriquer un beau tableau qui traduirait en lignes et en couleurs le réel, mais de réaliser ce que les yeux voient tel qu'ils le voient. Mais comment faire ? Nous voyons chaque partie, œil, nez, bouche, et en même temps nous voyons le visage entier. Comment peindre en même temps la partie et le tout ? Comment s'y prendre pour représenter sur une surface plane cette profondeur sans contour qui va du bout du nez à l'arrière du crâne, en passant par la joue ?
Il essayait jour après jour, essayait et détruisait, détruisait et essayait à nouveau. Chaque jour, travaillant presque sans relâche, de deux heures de l'après-midi à minuit, et quand la journée se terminait, abruti de fatigue au point de ne plus pouvoir bouger le bras ni se lever, il disait invariablement : "Aujourd'hui j'ai pas mal avancé. Mais c'est encore rie, tout est faux. Une vraie tête vaut mieux que ça. Au moins demain, je devrais pouvoir l'attraper un peu. Vivement demain, merde !"
Isaku Yanaihara, Avec Giacometti, 1969.