Au siècle dernier, un ethnologue a voyagé en pays dogon.
D'abord il s'est intéressé aux objets qu'ils fabriquaient, à leur art, à leurs danses, à leurs masques.
Et puis après quelque temps on lui a présenté un vieil homme aveugle : le vieil homme, à ce qu'il paraissait, savait toutes les histoires du peuple dogon - celles qui remontaient au début des temps, celles qui ordonnaient les rites et le calendrier. L'ethnologue a dû penser à Homère ; accompagné d'un interprète, il rendait visite au vieil homme aussi souvent qu'il le pouvait, et chaque fois il repartait avec de nouvelles histoires que l'interprète lui avait traduites.
L'ethnologue en a fait des livres : il y racontait à son tour la cosmologie multimillénaire des Dogons, le Renard, le Serpent, l'astre Sirius - tout ce que lui avait rapporté le vieil homme, tout ce que l'interprète lui avait traduit.
On a lu ces livres, en France et ailleurs ; les touristes sont arrivés en pays dogon.
Sans doute, les Dogons en ont d'abord été un peu agacés ; et puis ils se sont mis à fabriquer de nouveaux masques, à inventer de nouvelles danses, à se renseigner sur les histoires qui se racontaient à leur propos : après tout les touristes avaient de l'argent et l'argent rendait la vie plus facile. On a formé des guides pour promener les touristes à travers le pays dogon : tout en leur faisant voir des sites auxquels eux-mêmes n'avaient peut-être jamais vraiment prêté attention jusque là, les guides racontaient aux touristes des histoires de renard, de serpent et d'étoile qui venaient moitié de leurs propres croyances et moitié des fables d'un vieil homme aveugle, ou de son interprète, ou des deux à la fois, qui les avaient attrapées dieu sait où.
Qui sait si les Dogons n'ont pas fini par croire à certaines de ces légendes qui, à ce qui se disait en France ou autre part, étaient les leurs.