L'année même où Vincent van Gogh peint ses Tournesols - à une époque où comme lui de plus en plus d'artistes choisissent de peindre vite, de peindre non plus des objets, mais de la lumière ou des émotions - Émile Friant s'entête à copier quelque chose qui n'est sans doute pas la réalité, mais qui ressemble tout de même à ce qui se voit : quelque chose que la photographie, à la fin du XIXe siècle, saisit de mieux en mieux. Pas encore en couleurs, mais ça vient.
Je ne sais pas comment il a travaillé : à partir d'une photographie, justement ? Il semble que beaucoup de peintres de l'époque aient été un peu photographes. Ou bien ce qu'on a sous les yeux - qui ressemble tant à l'instantané d'un repas de fête, capturé sans que les convives s'en soient même aperçus - résulte-t-il d'un travail d'atelier, avec des modèles qui prenaient la pose ? Ou d'une addition d'études et de croquis, pris sur le vif ou même pas, et puis patiemment agencés pour recréer les apparences de la vie ?
Ou est-ce moi qui n'admets pas que cette scène est à la vérité aussi réaliste que peut l'être une photographie sur un panneau publicitaire ?
Et d'ailleurs, où ai-je jamais vu des scènes pareilles, sinon sur des affiches en bord de route ou l'écran d'un téléviseur ?
Combien des images que j'ai du monde ne sont que des bribes de films ou de publicité, que j'ai fini par prendre pour le monde simplement parce qu'elles en copiaient admirablement les apparences ?