DORMIR DANS LE DESERT MOJAVE
Ici, il n'y a pas de foyer,
Seulement des grains brûlants. C'est sec, sec.
Et l'air dangereux. Midi agit étrangement
Sur l'imagination, dresse une ligne
De peupliers entre l'horizon et moi, unique
Objet près de cette route droite, folle
Qui puisse évoquer hommes et maisons.
Un vent frais devrait habiter ces feuilles,
Une rosée s'y recueillir, plus précieuse que l'argent,
A l'heure bleue qui précède le jour.
Mais ils s'évanouissent, inaccessibles comme demain,
Ou ces fictions miroitantes de sources jaillies
Toujours plus loin devant celui qui a soif, insaisissables.
Je pense aux lézards tirant la langue
Dans la fissure d'une ombre minuscule,
Et au crapaud gardien de la goutte d'eau de son cœur.
Le désert est blanc comme l'œil d'un aveugle,
Aussi peu apaisant que le sel. Le serpent et l'oiseau
Sommeillent derrière les masques anciens de la fureur.
Nous étouffons, comme des chenets dans le vent.
Le soleil éteint ses braises. Là nous gisons.
Les grillons craquelés par la chaleur se rassemblent
Dans leurs cuirasses noires et poussent leur cri.
La lune diurne s'éclaire comme une mère désolée,
Et les grillons viennent se glisser dans nos cheveux
Pour mieux chasser la courte nuit de leurs crincrins.
Silvia Plath, Arbres d'hiver, 1971.