A l'intérieur du fort, tout était fraîcheur, pénombre, dû au creusement des eaux. C'était comme si on était au fond d'une immense cuvette. Le mur paraissait plus haut dedans que dehors. Le bouquet de chênes s'arrondissait en une voûte vert sombre. Dans la fosse, des orties foisonnaient, luxuriantes ; elles ne ressemblaient pas aux espèces communes des chemins et Lucian, ayant touché une feuille par accident, sentit une piqûre le brûler comme du feu. Au-delà de la fondrière, il y avait un sous-bois fait d'épaisses broussailles, d'arbustes vieux et chétifs que les vents avaient desséchés et tordus en des choses difformes et repoussantes. Hêtres, chênes, coudriers, frênes et ifs étaient si contorsionnés, si réduits et déformés que tous semblaient, comme les orties, appartenir à une autre espèce. Titubant, fouetté brutalement par le rebond des branches entremêlées, il commença à se frayer un chemin à travers la végétation menaçante. Une fois ou deux son pied heurta quelque chose de plus dur que du bois ; baissant les yeux il vit de vieilles pierres blanchies par la lèpre des siècles, et où l'on distinguait encore le travail de la taille. Plus loin, les racines des arbres décharnés étreignaient les restes d'un mur, haut d'un pied ; sur un tumulus de pierres écroulées se repaissaient des herbes foisonnantes et inconnues à l'odeur de mort. La terre était grasse et noire, le pied y faisait un bruit de succion mais ne laissait pas de trace. Dans les endroits les plus obscurs, là où l'ombre était la plus dense, poussait une abominable excroissance fongueuse corrompant l'air de sa pestilence et Lucian, sentant l'horrible chose s'écraser sous ses pieds, frissonna d'horreur.
Arthur MACHEN, La Colline des rêves, 1907.
Arthur MACHEN, La Colline des rêves, 1907.