
La plus horrible figure ne m’eût pas causé plus d’épouvante que celle de ce Coppélius. Représente-toi un homme aux larges épaules, surmontées d’une grosse tête informe, un visage terne, des sourcils gris et touffus sous lesquels étincellent deux yeux verts arrondis comme ceux des chats, et un nez gigantesque qui s’abaisse brusquement sur ses lèvres épaisses. Sa bouche contournée se contourne encore davantage pour former un sourire ; deux taches livides s’étendent sur ses joues, et des accents à la fois sourds et siffleurs s’échappent d’entre ses dents irrégulières. Coppélius se montrait toujours avec un habit couleur de cendre, coupé à la vieille mode, une veste et des culottes semblables, des bas noirs et des souliers à boucles de strass, complétaient cet ajustement. Sa petite perruque, qui couvrait à peine son cou, se terminait en deux boucles à boudin que supportaient ses grandes oreilles d’un rouge vif, et allait se perdre dans une large bourse noire qui, s’agitant çà et là sur son dos, laissait apercevoir la boucle d’argent qui retenait sa cravate. Toute cette figure composait un ensemble affreux et repoussant ; mais ce qui nous choquait tout particulièrement en lui, nous autres enfants, c’étaient ses grosses mains velues et osseuses ; et dès qu’il les portait sur quelque objet, nous avions garde d’y toucher. Il avait remarqué ce dégoût, et il se faisait un plaisir de toucher les gâteaux ou les fruits que notre bonne mère plaçait sur nos assiettes. Il jouissait alors singulièrement en voyant nos yeux se remplir de larmes, et il se délectait de la privation que nous imposait notre dégoût pour sa personne. Il en agissait ainsi aux jours de fête, lorsque notre père nous versait un verre de bon vin. Il étendait la main, saisissait le verre qu’il portait à ses lèvres livides, et riait aux éclats de notre désespoir et de nos injures. Il avait coutume de nous nommer les petits animaux ; en sa présence, il ne nous était pas permis de prononcer une parole, et nous maudissions de toute notre âme ce personnage hideux et ennemi qui empoisonnait jusqu’à la moindre de nos joies.
E.T.A. HOFFMANN, L’Homme au sable, 1816.
E.T.A. HOFFMANN, L’Homme au sable, 1816.